Des mots dans les cartes, des cartes par les mots
L’exposition alpha beta carta se tiendra au Centre international de poésie de Marseille (cipM), à la Vieille Charité, du 6 février au 18 avril 2015.
Une première version de l’exposition, produite par la Communauté d’Agglomération de Marne et Gondoire à l’occasion de la résidence d’Olivier Salon, s’est tenue au Parc Culturel de Rentilly (commune de Bussy Saint Martin 77) du 8 mars au 11 mai 2014. Elle avait permis d’organiser la rencontre entre OuBaPo (Ouvroir de Bande dessinée Potentielle) et oucarpo. Cette joyeuse collaboration est devenue à la fois un jeu-promenade installé dans le parc pendant deux mois et une œuvre d’Étienne Lécroart présentée dans la salle des bains turcs.
graphisme : Marion Lacroix
La relation des cartes aux mots est vieille comme les cartes, sans avoir été vraiment traitée. On peut imaginer que les cartes préhistoriques, aujourd’hui objets de débat, aient été dès l’origine le support de dénominations prononcées, peut-être elles aussi débattues et contestées. Si les cartes donnent à voir et à croire, les toponymes font exister l’espace et les cartes figent parfois plus qu’elles n’inventent. Mark Monmonier a écrit un ouvrage au titre évocateur, Des nichons de squaw à la Prairie du bordel : comment les cartes dénomment, revendiquent et déchaînent, dans lequel il souligne combien la carte est à la fois prescriptive et conservatrice.
L’ombre de Georges Perec plane ici, plus encore que sur d’autres projets de l’Oucarpo. Espèces d’espaces, laboratoire euphorique, est devenu malgré lui un texte programmatique. Quelques pages après la reproduction fidèle de la carte de l’Océan conçue par Lewis Carroll (carte intégralement blanche ou transparente, vide de signes et de lettres), Perec écrivait : « L’espace commence ainsi, avec seulement des mots, des signes tracés sur la page blanche. ». On ne s’étonnera guère que les mots jouent un rôle fondateur à l’orée d’un essai à ce point virtuose.
« Espace inventaire, espace inventé : l’espace commence avec cette carte modèle qui, dans les anciennes éditions du Petit Larousse Illustré, représentait quelques chose comme 65 termes géographiques, miraculeusement rassemblés, délibérément abstraits : voici le désert, avec son oasis, son oued et son chott, voici la source et le ruisseau, le torrent, la rivière, le canal, le confluent, le fleuve, l’estuaire, l’embouchure et le delta, voici la mer et ses îles, son archipel, ses îlots, ses récifs, ses écueils, ses brisants, son cordon littoral, et voici le détroit, et l’isthme, et la péninsule, et l’anse et le goulet, et le golfe et la baie, et le cap et la crique, et le bec, et le promontoire, et la presqu’île, voici la lagune et la falaise, voici les dunes, voici la plage, et les étangs, et les marais, voici le lac, et voici les montagnes, le pic, le glacier, le volcan, le contrefort, le versant, le col, le défilé, voici la plaine, et le plateau, et le coteau, et la colline ; voici la ville et sa rade, et son port, et son phare… »
Georges Perec, Espèces d’espaces, Bourgois, 1974