Cartocacoethes : manie de voir des cartes partout, irrésistible compulsion à découvrir ici ou là des formes cartographiques.
dérivé de cacoethes, is, n. : affection de mauvaise nature, fâcheuse maladie. Scribendi cacoethes, Juv. : manie d’écrire, démangeaison d’écrire.
Le mot n’est pas très joli, c’est le moins qu’on puisse dire (même s’il en impose justement par son caractère abscons). Il possède comme des relents de coelacanthe, ce poisson des profondeurs et du passé, plus curieux que sympathique.
L’Oucarpo (qui n’est jamais à court de néologismes) propose donc un autre terme, qui remplacerait avantageusement ce Cartocacoethes et désignerait d’abord l’action de fantasmapper. C’est bien entendu un mot-valise constitué de fantasme et de mappe, noble mot très français avant que d’être anglicisé : voir le Littré et l’usage de ce mot par Jean-Jacques Rousseau. Fantasmapper c’est ce que vous et moi faisons fréquemment lorsque nous reconnaissons l’Amérique du sud dans une part de pizza. Et il est probable que l’existence d’un mot pour le dire stimule désormais cette saine activité.
De là le mot fantasmappe, qui désigne le résultat de cette activité, c’est-à-dire une carte imaginaire (mais très réelle) découverte dans les formes improbables qui s’imposent à nous (nuages, flaques, murs, taches, etc.). Faut-il rappeler à quel point cette activité s’inscrit dans la tradition des conseils adressés à un jeune peintre par Léonard de Vinci dans ses Carnets : « Si tu regardes des murs souillés de taches ou faits de pierre de toutes espèces, pour imaginer quelque scène […] tu pourras y voir aussi […] d’étranges visages et costumes, et une infinité de choses que tu pourras ramener à une forme nette et complète. »
Fantasmapper, ce n’est rien d’autre que de reconnaître une Australie sur le mur, une Corse dans notre assiette, une Afrique à nos pieds ou une Angleterre à la fenêtre. Il s’agit souvent d’îles, il est vrai, plus rarement de Corrèze ou Tchétchénie, formes aux contours peu familiers. Mais bientôt, par extension (on vous a averti : il s’agit d’une affection compulsive), les formes décelées se font plus nombreuses et plus mystérieuses : elles deviennent évidemment cartographiques et s’affirment comme d’authentiques fantasmappes quand bien même elles ne ressemble à aucune île ou aucun pays connu.
Fantasmapper, c’est aussi redonner des lettres de noblesse à toutes sortes d’images ou de réalités pauvres (au même titre que l’on peut s’attacher à la richesse de ces « images pauvres » que sont les cartes postales). Les fantasmappes constituent donc une belle école du regard, qui nous conduit à regarder autrement le monde.
Dernier point. Donner un terme à cette activité (qui n’est pas toujours pathologique), c’est reconnaître l’omniprésence des formes cartographiques en nos esprits : inutile de lutter, les cartes sont en nous. Croire qu’on peut les oublier est aussi illusoire que de s’imaginer vivre sans lettres ou sans mots.
Une réflexion sur « Cartocacoethes »